• "MARINE"

    L'océan sonore
    Palpite sous l'oeil
    De la lune en deuil
    Et palpite encore,

    Tandis qu'un éclair
    Brutal et sinistre
    Fend le ciel de bistre
    D'un long zigzag clair,

    Et que chaque lame
    En bonds convulsifs
    Le long des récifs
    Va, vient, luit et clame,

    Et qu'au firmament,
    Où l'ouragan erre,
    Rugit le tonnerre
    Formidablement.

    Verlaine (Poèmes Saturniens)


    votre commentaire
  •  

    "La Fleur des Eaux"

    L'air est plein d'une odeur exquise de lilas,

    Qui, fleurissant du haut des murs jusques en bas,
    Embaument les cheveux des femmes.
    La mer au grand soleil va toute s'embraser,
    Et sur le sable fin qu'elles viennent baiser
    Roulent d'éblouissantes lames.

    O ciel qui de ses yeux dois porter la couleur,
    Brise qui va chanter dans les lilas en fleur
    Pour en sortir tout embaumée,
    Ruisseaux, qui mouillerez sa robe,
    O verts sentiers,
    Vous qui tressaillerez sous ses chers petits pieds,
    Faites-moi voir ma bien-aimée!

    Et mon cœur s'est levé par ce matin d'été;
    Car une belle enfant était sur le rivage,
    Laissant errer sur moi des yeux pleins de clarté,
    Et qui me souriait d'un air tendre et sauvage.

    Toi que transfiguraient la Jeunesse et l'Amour,
    Tu m'apparus alors comme l'âme des choses;
    Mon cœur vola vers toi, tu le pris sans retour,
    Et du ciel entr'ouvert pleuvaient sur nous des roses.

    Quel son lamentable et sauvage
    Va sonner l'heure de l'adieu!
    La mer roule sur le rivage,
    Moqueuse, et se souciant peu
    Que ce soit l'heure de l'adieu.

    Des oiseaux passent, l'aile ouverte,
    Sur l'abîme presque joyeux;
    Au grand soleil la mer est verte,
    Et je saigne, silencieux,
    En regardant briller les cieux.

    Je saigne en regardant ma vie
    Qui va s'éloigner sur les flots;
    Mon âme unique m'est ravie
    Et la sombre clameur des flots
    Couvre le bruit de mes sanglots.

    Qui sait si cette mer cruelle
    La ramènera vers mon cœur?
    Mes regards sont fixés sur elle;
    La mer chante, et le vent moqueur
    Raille l'angoisse de mon cœur.


    1 commentaire
  • "La mort de l'amour"


    Bientôt l'île bleue et joyeuse
    Parmi les rocs m'apparaîtra;
    L'île sur l'eau silencieuse
    Comme un nénuphar flottera.

    A travers la mer d'améthyste
    Doucement glisse le bateau,
    Et je serai joyeux et triste
    De tant me souvenir bientôt!

    Le vent roulait les feuilles mortes;
    Mes pensées
    Roulaient comme des feuilles mortes,
    Dans la nuit.

    Jamais si doucement au ciel noir n'avaient lui
    Les mille roses d'or d'où tombent les rosées!
    Une danse effrayante, et les feuilles froissées,
    Et qui rendaient un son métallique, valsaient,
    Semblaient gémir sous les étoiles, et disaient
    L'inexprimable horreur des amours trépassés.

    Les grands hêtres d'argent que la lune baisait
    Etaient des spectres: moi, tout mon sang se glaçait
    En voyant mon aimée étrangement sourire.

    Comme des fronts de morts nos fronts avaient pâli,
    Et, muet, me penchant vers elle, je pus lire
    Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux: l'oubli.

    Le temps des lilas et le temps des roses
    Ne reviendra plus à ce printemps-ci;
    Le temps des lilas et le temps des roses
    Est passé, le temps des œillets aussi.

    Le vent a changé, les cieux sont moroses,
    Et nous n'irons plus courir, et cueillir
    Les lilas en fleur et les belles roses;
    Le printemps est triste et ne peut fleurir.

    Oh! joyeux et doux printemps de l'année,
    Qui vins, l'an passé, nous ensoleiller,
    Notre fleur d'amour est si bien fanée,
    Las! que ton baiser ne peut l'éveiller!

    Et toi, que fais-tu? pas de fleurs écloses,
    Point de gai soleil ni d'ombrages frais;
    Le temps des lilas et le temps des roses
    Avec notre amour est mort à jamais.


    votre commentaire
  • "Des Voyages de peaux"

    Des voyages de peaux et des vagues de nuit
    Et des nuits dans le vague avec le mouvement
    Lent du souffle à mes lèvres
    Dans le bleu de la pluie aux filets sans étoiles
    Le chemin vers la mer se froisse comme un drap
    Plié dans son lit d'algue
    aux remous des odeurs des coquilles fendues
    Je glisse sur la planche engorgée de tangage
    La houle nous déhanche
    Nous fusionnons le temps de ce rêve mouillé
    Sur l'amour ruisselant sous le luisant des corps
    Des cordages noués
    Si le sel sur mon dur fissure sur ta bouche
    C'est que mon ventre avance à ton ombre mouvante
    cachée par tes cheveux
    Et tout crache tout meurt et c'est larme et sueur
    C'est fondu enchaîné sur l'oubli de l'oubli
    l'image du varech
    Et la mer sent l'amour et nous roule à l'envers
    De nos lèvres de soifs jusqu'à l'humide en nous
    Le théâtre qui coule

    Robert Cuffi


    1 commentaire
  • "Mer du Paradis"

    Me voici face à toi, mer, encore...
    La poussière de la terre sur les épaules,
    encore imprégné de l'éphémère désir épuisé de l'homme,
    me voici, lumière éternelle,
    vaste mer infatigable,
    ultime expression d'un amour sans limites,
    rose du monde ardent.

    Lorsque j'étais enfant,
    c'était toi la sandale si fraiche à mon pied nu.
    Une blanche montée d'écume au long de ma jambe
    doit m'égarer en cette lointaine enfance de délices.
    Un soleil, une promesse
    de bonheur, une félicité humaine, une candide corrélation de
    lumière --
    avec les yeux d'autrefois, de toi, mer, de toi, ciel,
    régnaient, généreux~ sur mon front ébloui,
    étendant sur mes yeux leur immatérielle mais accessible palme,
    éventail d'amour ou éclat continu
    qui imitait des lèvres pour ma peau sans nuages.

    Au loin la rumeur pierreuse des sombres chemins
    où les hommes ignoraient leur fulguration vierge encore.
    Pour moi, enfant gracile, l'ombre du nuage sur la plage
    n'était pas le pressentiment menaçant de ma vie dans sa
    poussière,
    ce n'était pas le contour bien précis où le sang un jour
    finirait par se figer, sans éclair, sans divinité.
    Comme mon petit doigt, plutôt, tandis que le nuage suspendait
    sa course,
    je traçai sur le sable fin son profil ému,
    et j'appuyai ma joue sur sa tendre lumière transitoire,
    tandis que mes lèvres disaient les premiers noms d'amour:
    ciel, sable, mer...

    Le grincement au loin des aciers, l'écho tout au long des arbres
    fendus par les hommes,
    c'était pour moi là-bas un bois sombre mais beau.
    Et mes oreilles confondaient le contact blessant de la lèvre
    crue,de la hache sur les chênes
    avec un implacable baiser, sûrement d'amour, dans les branches.

    La présence de poissons près du bord, leur argent nubile,
    l'or non souillé encore par les doigts de personne,
    la glissante écaille de la lumière, c'était comme un éclat dans
    les miens.
    Jamais je ne serrai cette forme fuyante d'un poisson dans
    toute sa beauté,
    la resplendissante liberté des êtres,
    ni ne menaçai une vie, parce que j'aimais beaucoup: j'aimais
    sans connaître l'amour; je vivais seulement...

    Les barques qui au loin
    confondaient leurs voiles avec les crissantes ailes des mouettes
    ou laissaient une écume pareille à des soupirs légers,
    trouvaient dans ma poitrine confiante un envoi,
    un cri, un nom d'amour, un désir pour mes lèvres humides,
    et si je les voyais passer, mes petites mains se levaient
    et gémissaient de bonheur à leur secrète présence,
    devant le rideau bleu que mes yeux devinaient,
    voyage vers un monde promis, entrevu,
    auquel mon destin me conviait avec très douce certitude.

    Sur mes lèvres d'enfant chanta la terre; la mer
    chantait doucement fouettée par mes mains innocentes.
    La lumière, faiblement mordue par mes dents très blanches,
    chanta; sur ma langue chanta le sang de l'aurore.

    Tendrement dans ma bouche, la lumière du monde m'illuminait.
    Toute la montée de la vie grisa mes sens.
    Et les bois murmurants me désirèrent parmi leurs verts feuillages,
    car la lumière rose était le bonheur dans mon corps.

    C'est pourquoi aujourd'hui, mer,
    la poussière de la terre sur les épaules,
    encore imprégné de l'éphémère désir épuisé de l'homme,
    me voici, lumière éternelle,
    vaste mer infatigable,
    rose du monde ardent
    .Me voici face à toi, mer, encore...

    Vicente Aleixandre


    votre commentaire